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Les Huit Salopards

samedi 21 mai 2016, par Pierre

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LES HUIT SALOPARDS

Se sentant apparemment à son aise dans l’univers du western, Quentin Tarantino nous propose, trois ans après sa relecture de Django, un nouveau western bien racé. Mais si son précédent western était une nouvelle déclaration d’amour aux années westerns spaghetti, l’influence majeur de ce nouvel opus est à chercher du côté du film d’horreur / fantastique.

En effet, à plusieurs reprises, le réalisateur américain a déclaré s’être inspiré du The Thing de John Carpenter pour créer Les Huit Salopards. L’influence est effectivement visible tout au long du film : la présence de Kurt Russell (acteur fétiche de Carpenter) au casting, la neige emprisonnant les protagonistes dans un espace clos, l’idée que les personnages, mais aussi les spectateurs, ne savent pas qui est digne de confiance dans le groupe que forment les clients de l’auberge.
En poussant un peu plus loin, on trouverait presque que le personnage du conducteur de la diligence, avec son chapeau et ses lunettes de soleil, ressemble assez au personnage de Kurt Russell dans The Thing (dans lequel il interprète d’ailleurs, lui aussi, un pilote).

RESSERREMENT DE L’ESPACE

La grande réussite du film de Tarantino est son ambiance. Laissant de côté les décors grandioses et variés des Kill Bill, Inglorious Bastards et Django Unchained, Tarantino revient à un certain dépouillement en concentrant la grosse partie de son film dans un décor fermé (comme dans Reservoir Dogs). Il s’agit en fait d’un rétrécissement de l’espace comme celui effectué dans Django Unchained.
Dans celui-ci, on passait d’une première partie faisant la part belle aux grands espaces sauvages pour progressivement se retrouver dans un espace de plus en plus petit : les héros traversaient la propriété de Calvin Candie pour se retrouver dans sa maison et enfin dans la petite salle à manger où a lieu la scène la plus tendue du film.

Même chose ici, avec une nature sauvage et menaçante qui force les passagers de la diligence à faire halte dans une auberge. Dans les deux cas, le rétrécissement de l’espace a pour but de faire monter la tension.
Les plans fixes du début montrant ce paysage enneigé sont très réussis et on n’imaginait pas Tarantino filmeur de la nature. Or il faut bien dire que ces quelques plans ont une vraie force, à la fois belle et terrible car ils suggèrent la tempête à venir. A cela s’ajoute le long plan en travelling arrière montrant un christ en bois (annonciateur des sévices à venir ?) avec la fameuse diligence s’approchant en arrière-plan.

La musique qui accompagne ce plan, entêtante, se développe progressivement pour suggérer la marche inexorable des passagers de la diligence vers l’affrontement qui les attend. Déjà leurs destins sont scellés. La musique originale d’Ennio Morricone, ainsi que l’utilisation de musiques non utilisées pour The Thing, y sont pour beaucoup dans l’ambiance pesante, lourde et poisseuse du film. Elles donnent aussi au film une identité propre là où l’utilisation de musiques d’autres films connus donnait à Django un aspect bâtard, constamment cerné par ses influences italiennes.
Les deux derniers tiers du film se déroulent donc dans cette auberge bientôt rouge. Le décor est fabuleux même si on a l’impression qu’il n’est pas toujours exploité au maximum : le spectateur se repère grâce à quelques coins clés tels que le poêle, la cheminée et le comptoir/bar. Cependant Tarantino utilise principalement le plan fixe à l’intérieur de l’auberge si bien que l’on perd, par moments, le sens de l’espace là où une caméra plus mouvante aurait peut-être permit au spectateur une plus grande imprégnation du lieu.
L’autre déception est le fait que Tarantino n’utilise pas vraiment l’extérieur or il nous fait entrevoir, plus tôt, la possibilité d’une utilisation de l’extérieur enneigé avec une série de plans montrant deux personnages reliant, grâce à des piquets et une corde, l’auberge aux toilettes. Le spectateur imagine qu’il s’agit d’un indice important, que, plus tard dans le film, un personnage se retrouvera coincé dehors dans le blizzard. Mais non. Il y a aussi un puits qui renferme autre chose que de l’eau.

Bref, à force de resserrer l’espace, le réalisateur clôt le champ des possibles et réduit un peu trop l’action du film. On rappelle d’ailleurs qu’il voit son film comme un Agatha Christie. Hélas on ne voit guère les personnages enquêter ou chercher les indices. Si bien qu’ils en oublient de regarder si il n’y pas de cadavres sous le lit.
Alors que The Thing était un Agatha Christie pervers dans lequel on accumulait les fausses pistes car la réalité (pour les personnages comme pour les spectateurs), ce que l’on croit est biaisé quand on est face à l’inconnu (un des grands thèmes explorés par Carpenter), Les Huit Salopards ne s’embarrasse pas d’une réelle enquête.

HUIT VRAIS SALOPARDS

Il semble que ces personnages soient trop sûrs d’eux pour être vraiment inquiétés. Et c’est précisément l’autre problème que l’on peut reprocher au huitième film de Quentin Tarantino. Depuis Kill Bill, le réalisateur a imaginé et filmé des personnages assoiffés de vengeance (la mariée, la bande de filles cherchant à se venger du cascadeur psychopathe dans Boulevard de la Mort, l’unité spéciale de soldats juifs dans Inglorious Bastards et finalement Django qui cherche à retrouver sa femme tout en en faisant baver, au passage, le plus possible aux blancs racistes qu’il trouve en travers de son chemin). Tellement assoiffés qu’ils en deviennent antipathiques voir détestables par moments.
C’est exactement le cas pour son nouveau film et l’intéressé ne le nie pas. Il en fait, au contraire, son postulat de départ : réunir dans une même pièce huit personnages tout aussi ignobles les uns que les autres. L’idée est excitante mais, malheureusement, elle est problématique pour un thriller. Le spectateur, face à une telle brochette de salauds, ne sait à quel saint se vouer, à quel personnage s’identifier ou en tout cas, s’intéresser vraiment. Aucun repère moral ici, si bien que le spectateur peut vite se retrouver distant par rapport à l’action du film. Les personnages meurent chacun leur tour sans que l’on s’en émeuve vraiment.
Tarantino avait réussi deux moments de tension incroyables dans ses deux précédents films : la scène d’introduction entre l’officier nazi essayant de faire parler un paysan cachant des juifs ; la scène du dîner dans laquelle on sent petit à petit que le stratagème de Django et Schulz pour récupérer la femme du premier tourne en eau de boudin. Deux grandes scènes angoissantes, stressantes qui marchaient merveilleusement car on tremblait pour ce paysan humaniste et les juifs cachés en dessous, et Django et Schulz dans le deuxième exemple.
Dans Les Huit Salopards, on a du mal à s’accrocher (sans parler de s’attacher) à un personnage. Kurt Russel, malgré ses moments de complicité et d’empathie envers sa prisonnière, ne cesse de lui défoncer le crâne ou le nez. Samuel L. Jackson en tunique bleue se venge du racisme dont il est victime en devenant aussi sadique que les personnes qu’il combat. Les autres ‘salopards’ sont du même acabit : bourreau appliqué, criminelle perverse, papy raciste… Le spectacle reste au rendez-vous et on suit l’action sans désintérêt mais on ne peut pas dire qu’on s’attache au sort de chacun. Ils peuvent bien tous crever.

A cela s’ajoute une utilisation de la violence qui, là aussi, atténue la tension que l’on pourrait ressentir. Les premières morts sont très impressionnantes mais elles frôlent (volontairement) le ridicule. Les agonisants vomissent des litres de sang si bien que, une fois la surprise de l’effet passée, les habitués de Tarantino ou de l’humour noir et gore style Evil Dead se mettront à rire. Alors qu’on devrait se dire « Oh non, il est en train de crever, pas lui », on rit de ce qui arrive au personnage.
La grande force du film de Carpenter était d’allier deux tons tout en gardant l’unicité du film : les moments calmes, lents, tendus, inquiétants laissaient place aux explosions de violence gore presque grand guignolesque. Les corps s’ouvraient en deux, des pattes d’araignée poussaient sur les têtes des victimes… Pourtant on restait scotchés face à cette exubérance. La peur était viscérale.
Dans le film de Tarantino, l’angoisse, le suspense, la violence paralysante sont vite abandonnés pour ne garder que le spectacle pur (gardant une distance avec le spectateur alors que Carpenter arrivait à immerger le spectateur dans son monde de terreur). La violence n’est pas éreintante pour le spectateur, elle est supposée être jouissive. Du coup, on en arrive presque à vouloir que les personnages souffrent alors que, pour un film d’angoisse, on devrait ressentir de l’empathie pour eux.

C’est que Tarantino fait du Tarantino : il joue avec ses personnages, s’amusent de leurs sorts, prend plaisir à les voir souffrir et à les faire souffrir. C’est définitivement le film de son auteur au sens où il est unique mais aussi dans ce sens que, rarement, dans sa filmographie on a autant senti sa main de marionnettiste. A chaque retournement de situation, on entendrait presque l’auteur ricaner derrière notre fauteuil. Au final, il devient plus salaud encore que ses personnages en prenant un plaisir évident à les torturer les uns après les autres. Et en plus il fait de nous les complices de sa farce cruelle. Nous rions voire nous jouissons des horreurs que subissent les protagonistes… au détriment, encore une fois, du sentiment d’angoisse qui devrait régner dans ce huis clos.

LE NEUVIEME SALOPARD OU COMMENT RENVERSER LES RENVERSEMENTS DE SITUATIONS

Après un flash-back expliquant au spectateur qui est qui, qui sont les ‘bons’ et les ‘méchants’ (même si ces termes ne conviennent guère aux personnages du film), on introduit un ‘invité surprise’ qui, on le pense, va rebattre les cartes. Etonnement, Tarantino lui enlève son jeu des mains et annule la possibilité d’un retournement de situation.
Pendant le dernier acte, il fait entrevoir encore deux fois cette possibilité. Mais non, le scénariste-réalisateur ne saisit pas les perches qu’il se tend à lui-même si bien qu’on a du mal à comprendre où il veut en venir. On sent qu’il cherche à jouer avec les codes du cinéma de genre, à jouer avec les rythmes, à surprendre. Et on sait qu’il l’a fait avec brio avec Pulp Fiction et sa narration complexe et enchevêtrée.
Il avait encore essayé de jouer avec les codes dans son précédent film en faisant finir son film vingt minutes après ce qui semblait être le règlement de compte final. L’idée était louable mais les vingt dernières minutes de Django Unchained sont redondantes. Elle replace un nouveau règlement de comptes final au même endroit (le hall d’entrée de la maison de Calvin Candie) que le règlement de comptes (pré-final) précédent quand on aurait pu imaginer, à la manière de bien des westerns italiens, un nouveau final dans le cimetière de la famille Calvin.
Tarantino essaie des choses, joue avec les codes et la narration mais ne semble pas allé au bout de son exploration ou, en tout cas, dans une mauvaise direction. Car jouer avec le spectateur, c’est lui créer des attentes or Tarantino ne satisfait pas ces attentes, il fait marche arrière, ce qui donne, malheureusement, un résultat inégal (très bon par moments, un peu décevant par d’autres). En associant western et horreur, on se disait que Tarantino délirait. Hélas on aimerait qu’il aille au bout de son délire.

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