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Chronique de France, chronique de Tunisie, chronique du Monde.

"Vent du Nord" de Walid Mattar

dimanche 4 mars 2018, par Clotilde Couturier

Hervé, mains d’usine depuis trente-deux ans, voit la fermeture de son usine d’un bon œil : il pense trouver là les fonds pour réaliser son rêve, devenir marin pêcheur artisanal.

Foued, jeune homme ébloui par la beauté de Karima, cherche par ailleurs à gagner de quoi soigner sa mère malade. Quoi de mieux que d’aller travailler dans la même usine que Karima ?

Au milieu de ces deux histoires, un trait d’union : une usine de chaussures française qui souhaite augmenter ses profits, alors elle traverse les frontières pour atteindre des terrains plus libéraux où tous les abus sociaux sont permis (pas de charges patronales, pas de sécurité sociale, etc), et où pour le même travail qu’un ouvrier français, la main d’œuvre coûte 120 euros par mois toutes charges comprises : bienvenue en Tunisie.

Chronique de France, chronique de Tunisie, chronique du Monde.

Bande annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=98kaO9Iw4FI

Avec Hervé et Foued, deux histoires personnelles mises en parallèle avec délicatesse et subtilité, Vent du Nord dépeint dans toute sa puissance le souffle qui porte les êtres humains dans leurs passions et leurs espoirs et comment ce souffle s’essouffle contre les carcans dans lesquels le profit et l’administration - totalement dévoués au service des puissants – nous enferme tous (ou 90% d’entre nous*).

Au-delà de la dénonciation des méfaits du profit à tout prix et de la surexploitation des ouvriers, Vent du Nord raconte le parcours de ces deux personnages dans leurs quêtes d’eux-mêmes, avec toute la joie et toute la violence dans lesquelles ces quêtes les entraînent. Le talent de Walid Mattar est d’explorer en profondeur la critique de la mondialisation et de l’épuisement individuel qu’elle entraîne pour tisser avec beaucoup de sincérité des personnages complexes. Ainsi, il questionne les impacts qu’a leur « moi » profond fait de désirs, espoirs, décisions et désillusions sur leurs rapports amoureux, familiaux et amicaux, bref il nous les montre aussi ambivalents que nous le sommes dans le réel.

Ce sont eux le cœur réel du film. A travers ces deux personnages, le réalisateur propose un modèle d’homme nouveau, plus proche de celui qui est en train d’émerger aujourd’hui, qui doit se construire entre nécessité de subvenir à ses besoins élémentaires et autorités dénuées d’empathie voire franchement humiliantes. Dans Vent du Nord , Walid Mattar redéfinit la virilité contemporaine. A la fois sérieux et décontractés, responsables et rêveurs, tendres et brutaux, fougueux et humbles, Hervé et Foued ne répondent pas aux clichés de l’homme qui impose sa pensée ou sa force aux autres par le seul pouvoir de sa masculinité. Personnages façonnés d’imperfections et de ressentis comme nous le sommes tous, ils sont capables de se battre pour leurs rêves, de reconnaître leurs défaites et d’accepter leur sort.

Vent du Nord pose aussi la question de la place que l’on laisse à chacun. En effet, Hervé et Foued ont des ambitions précises mais pas dévorantes et parce qu’ils veulent seulement trouver leur place et pas se lancer dans de grandes entreprises, ils sont considérés comme négligeables et empêchés. Petites ambitions ? Petites gens ! Avec Vent du Nord, Walid Mattar permet de remettre en question cette expression et d’en saisir toute la violence. Pourquoi les forcer à être la dernière roue du carrosse qui fait tourner le système ?…

Chaque péripétie du film pose la question : Faut-il se résigner ou trouver un autre moyen de se battre ?

C’est d’ailleurs sous un autre axe le point de départ du film, propice à des échanges véhéments entre Hervé et son ami Bernard...
Vent du Nord est un film plein d’énergie, plein d’émotions, drôle et aigre-doux qui sonne comme une chanson de Jacques Brel « Avec le vent du Nord qui vient s’écarteler, avec le vent du Nord écoutez-le craquer, le plat pays qui est le mien. » (Jacques Brel, Le plat pays). Avec Vent du Nord , Walid Mattar s’interroge sur la place de tous ces humains écartelés pour suivre le rythme de la mondialisation effrenée « et qui ont à jamais le cœur à marée basse  » mais surtout il se focalise sur leurs forces, eux qui un jour tiennent « avec le vent de l’est », qui se motivent, « avec le vent de l’ouest » et surtout qui chantent, « avec le vent du sud » ! (Jacques Brel, Le plat pays)

Car Walid Mattar ne se focalise pas sur le désenchantement. Au contraire ce qu’il nous donne à voir, c’est la fougue de ses personnages, c’est la beauté du quotidien, la solidarité, le soutien des amis, le coup de pouce inattendu, l’émotion d’un parent, l’espoir et la volonté qui surmontent tout, bref c’est l’humain. A travers ce premier film, on peut vraiment parler d’un style Walid Mattar qui a des similarités avec « Moi, Daniel Blake » (Ken Loach) pour les intentions, «  La couleur pourpre  » ou « Le Terminal » (Steven Spielberg) pour la narration mais qui propose une vision moins millimétrée, plus « french touch », avec ses allers-retours et ses moments suspendus dans le temps façon Jean-Luc Godard. Son approche de parallélisme des personnages est aussi une structure innovante, car elle laisse à chaque personnage l’espace pour son propre parcours, s’éloigne des trames qui s’unissent en un tout et propose plus simplement une vue d’ensemble sur deux trajectoires, liées sans le savoir.

Au fond, Walid Mattar ne traite que de cela : l’Humain.

Il ne dénonce d’ailleurs pas tant la mondialisation mais plutôt la perte d’Humanité qu’elle peut entraîner, cette déshumanisation du salarié ou du sans-salaire qui cherche sa place. Vent du Nord n’a d’autre ambition que de nous connecter à notre Humanité.
Ses objectifs sont portés avec talent par l’acteur Philippe Rebbot qui joue Hervé et pour le personnage de Foued par Hamzaoui Med Amine, ce jeune homme qui chantait « Houmani » (« Humains », plus de 25 millions de vues sur Youtube) avec le célèbre chanteur de reggae tunisien Kafon. https://www.youtube.com/watch?v=IJLTdwJzcjA

Aborder des réalités historiques de manière très entraînante grâce au traitement sur l’axe de l’individu et de ses émotions, pari réussi. Ce genre de films offre toujours matière à se questionner. Mais Vent du Nord est encore plus révélateur de questionnements parce qu’il reflète une réalité immédiate avec laquelle on n’a pas encore le recul nécessaire et qu’il nous permet par le truchement de l’écran. Il faut noter l’importance de ce choix de Walid Mattar dans le fait de placer son histoire dans le monde contemporain, de traiter un sujet dont l’Histoire est actuellement en train de se dérouler, finalement de faire écho au réel immédiat et de se positionner dans l’ère du temps.

Un film proche de nous, qui fait rire, transporte et questionne, premier film d’un oeil prometteur, Vent du Nord est un film à voir.

*
https://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20111123trib000666253/inegalites-les-10-les-plus-riches-possedent-50-du-patrimoine-des-menages-francais.html

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