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Portraits de femmes à Cannes

dimanche 5 juin 2011, par Hélène Hoël

Jeanne Captive de Philippe Ramos – Quinzaine des Réalisateurs
L’Apollonide, Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello – Sélection officielle
Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin – Un Certain Regard

De passage éclair à Cannes, le temps d’un week-end, le hasard des programmations fait que trois films de trois sélections distinctes retiennent mon attention. Tous sont des portraits de femmes, prisonnières, malmenées par des hommes, et rendent compte d’une triste évolution (ou absence d’évolution) : la femme est encore loin d’être l’égale de l’homme. Ces films nous la montrent suspecte car trop libre, interdite d’émancipation ou pire, objet de marchandise.

Jeanne Captive de Philippe Ramos (Quinzaine des Réalisateurs), L’Apollonide, Souvenirs de la maison close de Bertrand Bonello (Sélection officielle) et Martha Marcy May Marlene de Sean Durkin (Un Certain Regard) ont autant de différences que de point communs. Ils se déroulent chacun à des époques différentes. Jeanne Captive raconte la dernière année de Jeanne D’Arc (Clémence Poésy), de sa vente aux Anglais par Jean de Luxembourg, à sa mort en passant par son jugement. L’Apollonide nous montre le quotidien d’une maison close du tout début du XXème siècle. Quand à Martha Marcy May Marlene, on y suit la jeune Martha (Elizabeth Olsen), dans l’actuel état de New York, qui, venant tout juste de s’échapper d’une secte, peine à retrouver une vie sereine.

Ces femmes sont toutes prisonnières, physiquement et/ou mentalement. Jeanne est abandonnée de Charles VII qu’elle a fait Roi. Elle est prisonnière, captive des Anglais certes, mais elle se mure aussi dans le silence, depuis qu’elle n’entend plus ses « Voix » qui la guidaient jusque-là. Dans L’Appolonide, nous sommes confinés dans une maison close, très peu de scènes en extérieur, de respiration. Les prostituées ne peuvent en sortir qu’accompagnées sous peine d’être accusées de racolage. Et d’ailleurs, peuvent-elles réellement en sortir ? Défigurées, malades à en mourir, ou pour se rendre dans une autre maison close, vendues avec leurs dettes, elles semblent à tout jamais prisonnières de leur profession. Martha, elle, est prise dans les rouages d’une secte particulièrement sexiste. Les femmes prennent leur repas séparément des hommes, après eux, en attendant dans la cuisine. Elles doivent subir un viol comme rituel d’intégration au groupe, le tout encouragé par les autres jeunes femmes endoctrinées. Lorsqu’elle fuit cette secte pour être recueillie par sa soeur, Martha est complètement déconstruite, dans l’incapacité de dire ce qu’elle a vécu. La jeune femme se trouve alors prise dans une spirale de paranoïa. Elle pense être pourchassée et suivie par ses anciens gourous. D’ailleurs, ne le serait-elle pas réellement ? La mise en scène de Sean Durkin nous en fait douter. Le passé et le présent de Martha se mêlent, s’ajoute à cela des rêves, et le spectateur se retrouve embarqué dans les doutes de la jeune femme.

Jeanne Captive et L’Appolonide adoptent, eux au contraire, des points de vue multiples. Comme dans son précédent film, Capitaine Achab, Philippe Ramos a choisi de dresser le portrait de Jeanne à travers le regard de ceux qui ont croisé sa route, et il s’agit exclusivement d’hommes. D’ailleurs, Ramos dit lui-même qu’il pourrait résumer Jeanne Captive, par « C’est Jeanne et les Hommes ». Et ces hommes justement, ont du mal à se situer face à cette femme, messagère de Dieu pour certains, sorcière pour d’autres. Pour appréhender cette Jeanne « sur-femme » ou pour se rassurer quant à ses pouvoirs quasi divins, tous ces hommes n’auront de cesse de la manipuler, de la toucher, comme pour se rappeler qu’elle est bien constituée de chair et de sang. Le médecin panse ses plaies et tâte ses membres, les soldats l’enchaînent, le prêtre cherche à la rhabiller de vêtements de femmes. Ce qu’elle refusera et qui l’enverra à l’échafaud. Un acte de résistance : ne pas vouloir porter les vêtements qui la réduisent à sa seule condition de femme.

Les jeunes femmes de L’Apollonide, elles, se plient au moindre fantasme de l’homme, mimant une poupée désarticulée ou jouant la Geisha. Certaines s’en échapperont, d’autres resteront à jamais marquées de ces tristes jeux, comme Madeleine (Alice Barnole), dont le sourire a été sadiquement élargi au couteau. Dans ce film, Bertrand Bonello cherche à peindre un portrait d’une maison close du début XX siècle à travers plusieurs prismes. Il y a celui de la politique, Marie-France (Noémie Lvovsky), la tenancière, cherche un soutien auprès de politiciens afin de maintenir ouvert son établissement. Mais l’on trouve aussi un point de vue social, comme dans la scène de la visite médicale, ou celle plus terrible où Samira (Hafsia Herzi) tombe sur un ouvrage « scientifique » qui décrit le cerveau des prostituées d’un diamètre inférieur à la normale et comparable à celui des criminels. « L’image de la prostituée nous vient toujours du regard des hommes, dit Bertrand Bonello, ce sont les peintres ou les écrivains qui allaient au bordel, et le décrivait à travers un tableau ou un livre. Le point de vue de la prostituée elle-même est extrêmement difficile à trouver. » Pourtant ce film, semble rendre avec une quasi exactitude la vie d’une maison close, et défendre le point de vue des prostituées. Des scènes particulièrement bien documentées, aux personnages pleins de désillusions et résignés à leurs causes, s’ajoute une mise en scène superbe, jamais vulgaire. Une réelle déception que ce film ne figure pas au palmarès de cette 64ème édition du festival de Cannes.

Ces trois films sur la condition de la femme sont aussi trois regards d’hommes posés sur celle-ci, et l’on ressent une réelle empathie pour chacune de ces « femmes captives ». Mais rien n’est totalement fermé, ni leur avenir, ni leur cause. Finalement, le choix de Jeanne n’était-il pas de suivre ses convictions jusqu’à la mort (Philippe Ramos débute même son film par sa supposée tentative de suicide) ? Martha a réussi à fuir la secte qui la retenait, il ne lui reste qu’à se reconstruire. Quant aux prostituées de L’Apollonide, même si leur futur semble moins optimiste, l’une d’entre elle, la jeune Pauline, s’en sort.

Messages

  • Quoique ... l’Appollonide, j’ai trouvé que ça manquait un peu de profondeur au niveau des personnages. Ces films là inspirent une image assez réductrice de la femme. Je recommanderai plus des portraits de femmes que l’on trouve récemment dans les films iraniens (à voir une Séparation). J’aime bien l’élément comparatif par contre.
  • C’est vrai qu’à la différence des autres films, L’Appolonide dresse le portrait d’un groupe de femmes et non d’une seule en particulier. Ce que je trouve de particulièrement réussi c’est qu’aucune d’entre elles ne semble noyer dans ce groupe. Elles ont chacune leur parcours, une identité, et cet ensemble permet de se faire une idée de ce qu’était et est encore la prostitution (ce qui peut y conduire, ce que cela entraîne, comment en sortir...), sans que cela soit condensé simplement en un personnage.

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