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Shahada – Protestation du soi
dimanche 23 janvier 2011, par
Shahada, dans la tradition musulmane, est « la profession de foi ».
Elle se déclare avec cette phrase : « Je témoigne qu’il n’existe qu’un seul Dieu : Allah, et que Mahomet est son prophète. ».
En ce qui le concerne le film de Burhan Qurbani, il est défini par la présentation suivante : « Le destin croisé de 3 jeunes berlinois issus de l’immigration qui tentent de concilier pratique de la religion musulmane et mode de vie occidental. » [1]
Je pense que la « Shahada » de Burhan Qurbani est une protestation pour le « droit à être soi-même ». C’est avant tout l’Humanisme et la Sensibilité que j’ai perçus dans ce film réalisé avec une maîtrise et une exigence remarquables, qui rendent relativement incroyable le fait qu’il s’agisse du tout premier long métrage de ce jeune réalisateur allemand musulman.
Film d’émotion(s), ancré dans l’Humain, « Shahada » « saisit trois personnages à un moment de transition dans leur existence », en quête d’épanouissement personnel et de révélation intérieure.
Pour préciser davantage le contenu du film, nous suivons ces trois berlinois dans de grandes crises qui remettent en cause leur foi en l’existence de Dieu et leur conception du quotidien.
« Shahada » nous fait voir comment ils vont lutter pour trouver leur place et leur équilibre entre ces deux contextes. Lutter à proprement parler, à la fois intérieurement et avec le monde extérieur. Chacun traverse une importante remise en question :
Maryam, fille de l’Imam de sa communauté, est tombée enceinte par accident et va devoir avorter illégalement.
Sammi, immigré nigérian croyant et pratiquant, vit seul avec sa mère. Il défend les valeurs portées par sa foi, comme l’entraide, la tolérance et le respect de tous. Son collègue de travail, Daniel, est persécuté pour son homosexualité.
Ismail est officier de police et effectue les contrôles des sans papiers. Musulman non pratiquant et marié à une allemande, il est torturé par le souvenir d’une autre femme.
Durant leur « crise », les trois « héros » vont balancer entre le respect des convenances sociales associées à leurs croyances et la jouissance des revendications de la vie moderne et libérale, deux milieux qui préconisent des valeurs diamétralement opposées.
Je trouve intéressant de voir à quel point les opinions autour de ce film se focalisent, parfois exclusivement, sur son rapport à la religion musulmane et négligent les intentions réelles de l’auteur : « En tant qu’être humain, j’ai envie d’exprimer les choses simplement : « Je te hais », « Je t’aime », « J’ai envie de toi » ! ».
Il me semble que si Burhan Qurbani a choisi de traiter les conflits de ces personnages au cœur de la religion musulmane, c’est avant tout parce que c’est ce qu’il connaît lui-même. Etant donné que pour réaliser une œuvre de qualité, il faut d’abord avoir une bonne connaissance de son sujet, ce choix semble logique. Néanmoins le fait est que tous ses protagonistes se confrontent à leurs tourments dans le seul cadre de l’Islam. Alors l’objectif secondaire du film, qui veut dénoncer le traitement alarmiste fait par les médias à la religion musulmane, l’entraîne dans une prolongation de cette déformation médiatique. En effet, à cause de la religion unique de ses trois « héros », « Shahada » est avant tout regardé comme un « film musulman ». Provocant des réactions entièrement liées au rapport à la religion, et non à la critique du film, comme le catalogage en tant qu’œuvre de propagande ou au contraire blasphématoire, pour ceux et celles que choque cette vision d’une communauté musulmane qui pardonne et tolère les différences.
Mais le réalisateur revendique justement la vision d’un Islam pluriel, nuancé dans chacune de ses communautés, et qui est aussi capable de tolérance et indulgence ; à l’opposé des mouvements extrémistes souvent montrés par les médias et les gouvernements occidentaux.
« J’espère que ce film va susciter la curiosité, l’envie de s’informer sur la communauté musulmane et d’envisager « l’autre » dans sa diversité ». « On devrait plutôt avoir envie de mieux connaître cette communauté, de communiquer avec elle ». « Partir du principe que tous les Imams véhiculent un message de haine me choque profondément ! ».
C’est sans doute une critique à porter contre le film. Si le conflit de Maryam avec son père semble indispensable à « Shahada », peut-être qu’il aurait fallu faire de Sammi un polonais catholique pratiquant et d’Ismail un juif, pour éviter les clichés du « film musulman ». En tous cas, il est évident que toute religion aurait pu représenter la contrainte à surmonter dans les conflits évoqués.
Mais on peut aussi passer au-delà du rapport à l’image de l’Islam et considérer que les trois personnages pourraient appartenir à n’importe laquelle de ces religions, et à bien d’autres encore. On peut donc s’intéresser au vrai sujet du film : « des personnes en crise, dans des situations extrêmes […] et la façon dont leur environnement, sociétal et religieux, a une incidence sur eux, bonne ou mauvaise. » [2]
Dans cette optique, le talent du réalisateur prend tout son envol. Il nous entraîne avec brio à la découverte de l’émotion, du déni de l’émotion et de la falsification par l’émotion.
Les sources de détresse des personnages, tous trois torturés par d’importants conflits intérieurs, oscillent autour de la culpabilité. L’angle d’approche choisi par Burhan Qurbani pour montrer ces culpabilités est particulièrement réaliste, sans fioritures, efficace dans sa simplicité. La peinture sincère de situations pourtant poussées à l’extrême atteint ceux des spectateurs qui sont à l’écoute de leurs émotions et ressentent le déchirement de l’individu. Pour les autres, le procédé semblera inexpressif ou lourdement mélodramatique.
« Shahada » est avant tout un film du Vivant.
Parsemé de vibrations à capter : non-dits et aveux, découvertes et égarements, secrets et dévoilements, gestations et avortements, explosions et méditations… Autant de tourbillons de sentiments bouillonnants.
N’espérez surtout pas voir en « Shahada » un film subversif, ou une analyse sur la situation musulmane en Allemagne dans le style docufiction. Ce n’est ni l’intention ni la prétention de l’auteur qui a déclaré : « je ne suis qu’un cinéaste, un conteur, pas un sociologue ou un philosophe. […] « Shahada » traite avant tout de drames humains. L’une de mes références est « Le décalogue » de Kieslowski, parce qu’il cherche, au-delà du religieux, à dévoiler l’âme humaine. »
Et Burhan Qurbani s’emploie à atteindre son objectif avec « un enthousiasme et surtout l’habitude d’exprimer des émotions exaltées. […] On peut s’y brûler les ailes parce que l’on se met en péril, mais c’est révélateur de soi et des autres. »
Exactement fidèle au caractère exacerbé de son réalisateur, « Shahada » met en lumière la puissance destructrice du « tiraillement intérieur ». Celui qui oppose la représentation à la spontanéité, la bienséance à la vérité, l’orgueil à l’inexpérience, les valeurs morales aux attitudes sociétales « modernes », la sagesse à l’insouciance, le désir à la peur, et signale la non-conformité de son comportement avec l’attitude convenable décidée par le dogme religieux.
« Shahada » revendique la révélation de soi et la révélation de foi, comme une foi personnalisée et non codifiée.
Dir : Burhan Qurbani, 2011
Notes
[1] Les citations sont tirées du dossier de presse édité par Memento Films, la société de distribution française.
[2] Cette citation seulement est extraite d’un entretien rapporté par le Festival « Indépendance(s) et Création »
La page officielle : http://www.memento-films.com/mfd/film/infos/4
La bande annonce : http://www.bande-annonce-cinema.com/film/74372-shahada
[1] Les citations sont tirées du dossier de presse édité par Memento Films, la société de distribution française.
[2] Cette citation seulement est extraite d’un entretien rapporté par le Festival « Indépendance(s) et Création »