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Clermont-Ferrand 2013

Le documentaire animé avec « Pieds Verts »

lundi 28 janvier 2013, par Clotilde Couturier

Le festival de Clermont-Ferrand c’est l’ « assemblée rituelle » du court-métrage, organisée tous les ans par l’association Sauve qui peut, et qui se tient cette année du 1er au 9 février 2013. Profitant de l’opportunité de voir tous ces créateurs audiovisuels rassemblés, je parcours les horizons cinématographiques, de thème en thème, de genre en genre.

N°1 : Le documentaire animé avec « Pieds Verts »

Le festival de Clermont-Ferrand c’est l’ « assemblée rituelle » du court-métrage, organisée tous les ans par l’association Sauve qui peut, et qui se tient cette année du 1er au 9 février 2013. Profitant de l’opportunité de voir tous ces créateurs audiovisuels rassemblés, je parcours les horizons cinématographiques, de thème en thème, de genre en genre.

N°1 : Le documentaire animé avec « Pieds Verts »

"Françoise" et "Pieds Verts", réalisés par Elsa Duhamel, se fondent sur des témoignages réels, appartenant pour cette raison à la catégorie des oeuvres documentaires audiovisuelles. L’enregistrement du témoignage dans le film documentaire a généralement pour but de justifier la narration ou de rythmer un récit global faisant intervenir plusieurs témoins.


Dans le cas des films d’Elsa Duhamel, le témoignage est traité comme un tout à part entière, sans autre objectif apparent. Cette démarche audiovisuelle m’interroge au sens où elle se situe dans une création de films faits de la stricte représentation du réel sans autre objectif que d’exister comme oeuvres fixées. Une démarche propre à l’oeuvre d’art.


(note : Hegel définit ainsi que "L’art consiste à saisir les traits momentanés, fugitifs et changeants du monde et de sa vie particulière, pour les fixer et les rendre durables" et ce sans autre finalité.)

(c)"Pieds Verts"- Elsa Duhamel - http://vimeo.com/51861086


Entretien :

Cette année, vous présentez votre dernier film, "Pieds Verts", qui a été sélectionné pour être diffusé au sein de la compétition Nationale au Festival de Clermont-Ferrand, et éventuellement récompensé si l’un des prix qu’offrent les différents jurys du festival vous était décerné.

 
Il y a deux ans, vous aviez présenté "Françoise" dans la même compétition. Bien que le film n’ait pas été récompensé, "Françoise" a été diffusé dans le cadre du Festival, haut lieu de rassemblement du court-métrage. Quel a été le parcours du film, avant et après le Festival ?


Elsa Duhamel : Après avoir terminé « Françoise », je l’ai envoyé à de nombreux festivals dans l’espoir qu’il soit vu, ce qui était très important pour moi étant donné le sujet du film. Il a été souvent sélectionné et il a reçu plusieurs prix, notamment au festival des Très Courts à Montpellier. Il a aussi fait l’objet d’un dossier pédagogique pour être étudié par des scolaires en Poitou-Charentes. Mais la différence avec avant/après le festival de Clermont, c’est qu’après la diffusion, de nombreux festivals m’ont demandé d’eux-mêmes si je pouvais leur envoyer le film, ce qui a encore élargi sa visibilité.

 

Après la sélection de "Françoise" en 2011, vous attendiez-vous à la sélection de "Pieds Verts" cette année ?

Elsa Duhamel : J’avoue que j’aurais été un peu déçue que « Pieds Verts » ne soit pas sélectionné, non pas parce que cela allait de soi, étant donné la dureté de la sélection (63 film français retenus sur 1587 envoyés) mais parce que « Pieds Verts » me semble être un film plus abouti, qui m’a demandé plus de temps, de réflexion.

 

Par rapport à l’ensemble de la compétition, pensez-vous que "Pieds Verts", avec sa forme documentaire et son univers dessiné, a autant ses chances pour être retenu par les jurys, qu’un film de fiction avec des acteurs à l’écran ?

Elsa Duhamel : Je ne pense pas que le fait qu’il s’agisse d’un documentaire animé lui donne moins de chance qu’un film de fiction avec des acteurs. L’animation peut autant montrer une mise en scène originale, émerveiller le public, le faire rire ou pleurer… que la prise de vue réelle. Pour l’aspect documentaire, je ne pense pas que cela soit un frein non plus, pour les mêmes raisons. D’ailleurs l’année dernière, le documentaire animé « La Sole, entre l’eau et le sable » Angèle Chiodo a gagné le prix du jury. Au passage, je salue le fait que le festival mélange dans ses programmes l’animation et la prise de vue réelle contrairement à d’autres qui préfèrent parfois regrouper les films d’animation dans un programme spécial.

 
Françoise" et "Pieds Verts" sont construits sous une forme originale que l’on peut qualifier de "documentaire animé". Avez-vous toujours été portée vers cette forme cinématographique particulière ?

Elsa Duhamel : Cela fait de nombreuses années que j’affectionne particulièrement ce genre, notamment depuis ma découverte de la série de courts métrages « Jamais comme la première fois ! » de Jonas Odell. On y découvre les témoignages de plusieurs personnes qui racontent leur première relation sexuelle, et c’est bien sûr le fait qu’il s’agisse d’histoires réelles qui nous intéresse et nous touche en tant que spectateur.


J’avais très envie d’expérimenter ce genre et c’est donc avec intérêt que j’ai participé à un atelier de collaboration avec des étudiants en Documentaire au sein de mon ancienne école, L’EMCA. Les étudiants avaient créé des documentaires sonores, et c’était ensuite à nous, élèves de la branche Animation, de les adapter en films d’animation. C’est ainsi que j’ai réalisé « Françoise », en 2010, à partir du documentaire sonore d’Iris Pakulla. J’ai réalisé ensuite d’autres films d’animation « classiques », puis j’ai eu envie de réaliser à nouveau un documentaire animé, en enregistrant cette fois moi-même les interviews, et c’est ainsi qu’est né « Pieds Verts ».

 
L’animation dans votre cas se traduit par un dessin que je qualifierais de "tendre" et "délicat". Dans votre film "Françoise", on est incroyablement surpris par le contraste entre l’image, qui évoque plutôt la naïveté, et la parole du témoin, lourde et pénible à entendre puisqu’elle nous fait part de son viol. Avez-vous voulu ce contraste ou est-ce le fruit du hasard ?

Elsa Duhamel : Non, c’est vraiment voulu. En fait je ne souhaitais pas édulcorer le témoignage de Françoise en enlevant les phrases les plus dures, ou en jouant sur la suggestion (j’ai sélectionné et remonté l’interview de Françoise qui durait environ 1h pour n’avoir plus que 2 minutes de voix off). Sinon cela aurait été pour moi une façon de minimiser ce qui lui était arrivé. Mais en conséquence, j’ai souhaité avoir en opposition à cette violence un graphisme enfantin, qui nous replonge dans l’univers de Françoise petite et marque ainsi encore plus le décalage entre son statut de petite fille de 6 ans et le viol dont elle a été victime.

 
Avez-vous appliqué la même technique d’animation dans "Pieds Verts" ? Votre "trait" de dessin présente-t-il toujours cette douceur ou faites-vous volontairement un travail sur le style de chaque film pour obtenir un type d’image en particulier ?

Elsa Duhamel : Pour chaque film je réalise un important travail de recherche graphique en amont de la création afin de créer un style unique à chaque fois. Ce qui a été le cas pour « Pieds Verts », qui a un graphisme très différent, qui joue sur des effets de transparence de l’encre, et sur lequel je me suis notamment appliquée au traitement de la lumière, qui évolue au cours du film. Cependant j’imagine que malgré cela, on retrouve beaucoup de similitudes dans l’aspect visuel de mes films, notamment sur les gammes colorées.

 

Vous laissez la parole à vos personnages, et ce sont leurs mots qui tissent le récit de votre film. Pourtant, vous leur "prenez" l’image. Ce choix de traduire le contenu des témoignages par des images dessinées, plutôt que de donner à voir le témoignage dans sa forme brute, vous le justifiez comment ?

Elsa Duhamel : En réalité, les témoignages des personnages ne sont pas si bruts que ce qu’ils paraissent. Chacune de leurs phrases a été soigneusement sélectionnée parmi des heures d’interviews, et remontée pour « recréer » un témoignage de quelques minutes. Leur propos n’est en aucun cas dénaturé, mais il est autant travaillé et manipulé que l’image.

Le premier avantage d’avoir une image animée par rapport à cela, c’est que justement on peut couper dans le récit oral en toute liberté, alors que si la personne était filmée, les coupures seraient visibles. On peut ainsi obtenir un témoignage fort parce que tout est calculé : l’ordre des phrases, l’alternance entre les personnages, mais aussi le rythme de la voix, les silences, les respirations… Comme chaque seconde dans un film d’animation demande beaucoup de travail au niveau de l’image, cette « manipulation » permet de gagner du temps en allant à l’essentiel.

Pour l’image, je pense qu’elle permet d’apporter des informations et des significations supplémentaires à la voix. Il ne s’agit pas de simplement illustrer ce qui est dit, mais d’apporter autre chose. Ainsi on va plus loin que la parole et plus vite. C’est aussi un jeu dangereux, car il y a le risque que le spectateur soit noyé parmi les informations visuelles et sonores, surtout quand on met en place des décalages entre la voix et l’image, mais c’est pour moi un des intérêts de ce type de mise en scène.

 
Enfin, ce genre du "documentaire animé" semble beaucoup se développer depuis 5 ou 6 ans... d’après vous, pourquoi ? Est-ce un "effet de mode" ?

Elsa Duhamel : On a commencé à vraiment parler du documentaire animé depuis le long-métrage « Valse avec Bashir » d’Ari Folman. (ndlr : grand succès public et critique international, sorti en 2008) J’imagine que cela est dû à la grande visibilité dont il a bénéficié mais on a tendance à oublier que cela fait des dizaines d’années que ce genre existe. Je ne saurais dire exactement si effet de mode il y a et pourquoi, mais ce qui peut être une raison, c’est que les films d’animation, en particulier dans le long-métrage, sont très difficiles à financer lorsqu’ils ne sont pas destinés aux enfants. Le succès de « Valse avec Bashir » a certainement permis d’ouvrir la porte à d’autres documentaires animés destinés aux adultes, qui sinon n’auraient sûrement pas vu le jour...


Pour découvrir « Pieds Verts », rendez-vous au Festival International du Court-Métrage à Clermont-Ferrand, du 1er au 9 février 2013.

« Pieds Verts » est diffusé au sein du programme « F12 ».

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Samedi 02 16:00 Jaude

Dimanche 03 19:00 Gergovia

Lundi 04 18:00 Genova

Mardi 05 20:15 Cocteau

Mercredi 06 16:00 Petit Vélo

Jeudi 07 15:00 Capitole

Vendredi 08 14:00 Cocteau


« Pieds Verts » est diffusé au sein du programme « F12 ».

Samedi 02 16:00 Jaude
Dimanche 03 19:00 Gergovia
Lundi 04 18:00 Genova
Mardi 05 20:15 Cocteau
Mercredi 06 16:00 Petit Vélo
Jeudi 07 15:00 Capitole
Vendredi 08 14:00 Cocteau

Portfolio

Messages

  • Ce n’est que maintenant que je lis votre article sur ce documentaire-animé et votre entretien avec sa réalisatrice Elsa Duhamel. Françoise : Le fait de parler d’un sujet difficile en utilisant le film d’animation au lieu de faire un documentaire traditionnel n’enlève en rien son impact et l’importance du message qu’elle essaie de faire passer.

    Je n’ai pas encore eu la chance de voir Pieds-Verts mais du petit extrait que j’ai pu voir, j’ai vraiment aimé ce travail d’encre à l’effet d’aquarelle... Merci pour cette découverte Clothilde.

    Christian Pellerin

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