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Santiago 73 Post Mortem (sortie le 16 février 2011)
dimanche 6 février 2011, par
De ce qui se passa en 1973 au Chili, il en est question et il n’en est pas.
Du coup d’état de Pinochet et des horreurs qui s’en suivirent on en entend parler et l’on en entend rien non plus.
De la folie des hommes et d’un homme en particulier, on en discute et ça ne se discute pas.
Pablo Larraìn nous explique qu’il n’a pas réalisé ce film comme une leçon d’histoire, qu’il ne cherche pas à dénoncer en particulier les événements, parce qu’il n’en est pas besoin. Le Chili est un pays marqué par cette période, et même né après les événements, on a eu de cesse de lui expliquer, à lui comme à tous, de lui raconter ce qu’il s’était passé, les disparus et les morts, les 3000 personnes dont on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu, et qui sont peut-être là, sous ses pieds, lorsqu’il tourne dans une rue déserte de Santiago.
Ce que l’on voit clairement par contre c’est Mario Cornejo. Mario et sa vie pas folichonne, Mario fou amoureux de sa voisine Nancy, Mario qui retranscrit les rapports d’autopsie, Mario bizarrement atone sauf à de très rares occasions. Et puis d’un coup, Mario qui se retrouve devant le cadavre de Salvador Allende. Mario qui décide que son histoire avec Nancy devient réelle. Mario qui n’a pas l’air de vraiment voir ce qui se passe, même si les cadavres s’amoncellent dans sa morgue, Mario qui change malgré lui, qui change parce qu’il est monstrueusement amoureux ou qui change parce que l’époque se veut créatrice de monstres ?
De l’Histoire avec un grand H, on ne voit que des fragments, des petits bouts qui nous laissent imaginer le reste, les recoller nous même, car ce n’est pas la question.
La caméra fixe nous oblige à la même chose pour les décors, les personnages, les images. Des bouts de tête, d’épaules, des dos, des fenêtres qui donnent sur des images trop lointaines ou trop floues, mais toujours ces morceaux font sens, rien ne nous est caché mais rien ne nous est offert sur un plateau, on a l’impression que l’époque nous rattrape, que l’on fait vraiment partie de ce qui se passe comme un témoin silencieux et invisible, mais qui a ses limites humaines et doit, pour comprendre les choses, faire l’effort de deviner ce qui n’est pas directement dans son champ de vision.
L’idée du film est partie du vrai rapport d’autopsie de Salvador Allende, où sont mentionnés 2 médecins célèbres au Chili et un certain Mario Cornejo, total inconnu. Qu’a bien pu faire cet homme pour qu’on l’oublie si vite alors qu’il était présent à un événement d’une telle ampleur ? Le vrai Mario Cornejo n’a bien entendu rien à voir avec le personnage du film, mais cette question a lancé Pablo Larraìn dans un film dense et prenant, qui n’a besoin d’aucun artifice pour montrer sa force. On y parle d’amour comme on n’en parle pas souvent, on y parle pas de la guerre et pourtant c’est présent, la finesse des acteurs et de l’action nous emporte sans problème et nous questionne.
Certains trouveront ce film peut-être lent, et penseront que cela manque d’action, alors que je pense quand à moi que chaque battement de cil de Nancy face à Mario renverse le monde tel qu’il l’a connu, que chaque geste de ce dernier est précisément calculé dans une économie de vie telle que tout va justifier qu’il vit effectivement sa vie post mortem.
Dir : Pablo Larraín, 2010