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Une sélection de films - Clermont Ferrand 2011
vendredi 25 février 2011, par
Progressivement, l’association « Sauve qui peut le Court Métrage », active depuis 1981, a su dresser une table gourmande et engagée de cet Art. Aujourd’hui, s’élève un Festival International, le plus important Festival de Court Métrage au Monde en terme de visiteurs. Et comme cela n’est pas suffisant pour ses énergiques protecteurs du court-métrage, l’association « Sauve qui peut le court métrage » complète cette action par le développement du Pôle Régional de l’éducation à l’image et la gestion de « La Jetée », centre de documentation spécialisé le plus important d’Europe.
Je voudrais vous donner ci-dessous un tout petit avant-goût du Festival 2011 en choisissant de mettre en avant 5 films des Compétitions Nationale et Internationale.
J’exclus donc tout cela de mon « top 5 » des Compétitions Française et Internationale, ainsi que les deux merveilles que j’ai déjà découvertes au Festival Silhouette : « Six dollar fifty man » et « Monsieur l’abbé ».
(voir http://www.mydylarama.org.uk/spip.php?article49)
N’ayant pu voir qu’un tiers de la totalité des séances (52 heures), n’ayant vu ni « Kawalek Lata » (Grand Prix de la Compétition Internationale) ni « Pandore » (documentaire deux fois primé), j’ai fait mes choix de manière totalement partiale !... Libre à vous de commenter et de m’indiquer vos propres préférences.
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Le premier film sur lequel j’aimerais écrire est « Tfarim » (« Couture »), un court-métrage israëlien réalisé par Dana Keidar.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200011729&o=88
« Tfarim » m’a surprise dans son rapport hyper juste et réaliste quant à la découverte simultanée de l’Amour et des convenances morales de la Société. J’ai été touchée par la façon dont le comportement de l’héroïne est présenté dans son naturel et sa sincérité.
Par ailleurs, la qualité de l’image est sincèrement remarquable, la lumière du verger inondant les scènes d’Amour tandis que l’éclairage du foyer atténue les contrastes et que la blancheur des autres lieux tranche avec l’apaisement du jardin, rendant ces espaces ténus et limités dans leur capacité à accueillir l’émotion.
« Tfarim » est davantage un gentil poème, une parenthèse de rêverie, qu’un récit. Les vingt-quatre minutes que durent le film m’ont semblé une fraction de temps hyper courte… L’envie de prolonger le rêve peut-être ?
Le film se déroule, suivant une ligne narrative simple, sans que la réalisation ne vienne expliquer les doutes de Nadine et les valeurs qu’elle porte en elle, par des discours trop explicites. Sans le langage, Nadine nous transmet son affection, son désarroi, ses hésitations, ses raisons dans la décision qu’elle prend, sa vaillance à honorer ce choix et enfin sa vision de l’avenir.
La qualité de la réalisation qui permet de communiquer autant en disant si peu nous ramène forcément à nos situations personnelles et nous permet de nous identifier à cette héroïne qui peut pourtant être si loin de nous. Ce n’est néanmoins pas la première réalisation à atteindre cette qualité.
Ce qui fait l’originalité du film, c’est la douceur poignante qui en émane de la première à la dernière image, même dans les situations les plus conflictuelles et pour lesquelles on s’attendrait à une confrontation, qui n’arrive finalement jamais.
La réussite du film tient en grande partie à cette capacité à nous transmettre une image toujours agréable, jamais ébréchée. L’histoire porte d’ailleurs sur le remodelage de Nadine, comme si ce qui avait été fait pouvait être effacé si simplement. Comme si les conflits ne méritaient pas d’être soulevés, comme s’il suffisait de les nier ou de les détourner pour vivre en parfaite harmonie dans un climat de joie et de détente. C’est peut-être le message du film. En tous cas, la douceur est le vrai héros du film. Un héros que l’on désire mais qui intrigue, qui provoque de la gêne car il entraîne mensonges et dissimulations mais aussi du plaisir car il permet la jouissance et l’amour.
La force des personnages secondaires, qui viennent attendrir encore les scènes de par leur compréhension, leur sympathie et leur tendresse pour Nadine, fait tenir le film en une bouffée d’air frais, une respiration de bien-être.
Nadine ne rentre donc jamais dans le conflit qui pourtant se présente à elle comme une évidence à plusieurs reprises. Elle contourne, elle virevolte, et en une pirouette le conflit se transforme en sourire. C’est une belle leçon de vie, mais c’est aussi propice au questionnement sur la sincérité des rapports humains, qui est justement bien montrée dans le film.
Nadine et ses belles pirouettes, qui lui permettent d’être à la fois la fille, la femme et l’amante idéales, écartèle son être dans toutes ces directions pour apaiser les tensions de tous et éviter les déceptions, les confrontations, les choix, les aveux, les critiques… Toute prise de risque est annihilée pour protéger son bonheur.
On pourrait imaginer ce bonheur entaché du mensonge et de la peur de la désapprobation du « clan ». Cependant, il n’en est rien ! Parce que Nadine vit très bien sa dissimulation. Nadine est-elle un modèle à suivre ou une faussaire à dénoncer ?
Site officiel : http://cinephil.co.il/index.asp?categoryid=80&articleid=603&searchparam=stitches
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Le deuxième film que j’aimerais féliciter est totalement construit à l’inverse de « Tfarim ». Il s’agit de « Khouya », film franco-algérien réalisé par Yanis Koussim.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200013253&o=88
« Khouya » (« Mon frère ») est la suite de « Khti » (« Ma sœur »), réalisé en 2007, et doit former une trilogie sur la situation féminine en Algérie avec un prochain court-métrage. Dans « Khti », Yanis Koussim abordait le sujet de manière légère et souriante, avec « Khouya » il entre dans le vif avec ferveur et poigne.
« Khti » montre de nombreuses faiblesses techniques (cadrage, transitions, déroulé) alors que « Khouya » est au contraire une réussite dans la qualité de la réalisation.
Peut-être est-ce dû au nombre de films réalisés par Yanis Koussim depuis, ou alors au fait que « Khti » est une comédie, et « Khouya » une tragédie ?
En tous cas, le talent tragique de Yanis Koussim s’exprime parfaitement dans « Khouya » où il parvient à augmenter à chaque minute le suspense et l’inquiétude qui portent le film.
D’abord présente de manière sous-jacente, « palpable », la violence de « Khouya » monte en puissance jusqu’à en devenir exaspérante. Le film tombe dans certains clichés mais ne s’y arrête pas et poursuit son cheminement infernal. Tout en tension, ce quasi huis clos épuisant, à la limite de l’insupportable, nous pousse à la révolte.
C’est un talent à reconnaître au réalisateur car si la montée de tension perdait en intensité, si la moindre pause prenait le temps de calmer l’inquiétude, si les espaces de fraîcheur n’étaient pas toujours trop courts, nous passerions à côté du film.
Le procédé composé par Yanis Koussim a en effet pour but de nous faire ressentir intérieurement le drame de la situation, et ainsi nous permettre de percevoir le besoin de libération et l’impulsion inconditionnelle que ce besoin provoque.
Ceci dans le but de nous faire comprendre la chute, juste et « logique ». Finalement, le sentiment de persécution doit nous mener à concevoir en nous-même, à espérer, et à apprécier, cette riposte à la fois héroïque et condamnable.
Yanis Koussim prend de grands risques avec ce choix narratif car le spectateur, impliqué avec le procédé, peut aussi rejeter la totalité de l’œuvre et n’éprouver que le sentiment d’un film « imposé ». L’autre risque avec ce procédé est que le spectateur en ressorte une vision surréaliste de la situation, puisque portée à l’écran dans l’extrême. Réellement, « Khouya » ne permet que trois réactions possibles : la compassion, l’égocentrisme ou le déni.
En rendant son film aussi poignant, Yanis Koussim ne nous permet plus d’être spectateur.
Il nous ferme la voie à la neutralité de l’observateur. C’est une proposition intéressante qui rappelle le débat du film documentaire, entre objectivité et subjectivité, entre relevé et témoignage, entre information et engagement.
Autant le sujet (malheureusement très courant) de la violence domestique a été mieux traité dans d’autres réalisations, autant la forme « retorse » de « Khouya », qui vous interdit l’indifférence, en fait une œuvre singulière et authentique.
Je pense que « Khouya » est clairement un témoignage subjectif engagé en soutien à l’obtention de Droits pour les femmes algériennes et qui a créé en moi une envie de rejoindre cette lutte, conforme à l’image finale du choix de la quatrième femme du film.
La production : http://www.africultures.com/php/index.php?nav=structure&no=3883
« Khti » est visible en ligne : http://www.onlinefilm.org/-/film/34494
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« Traiettorie invisibili » est le troisième film que j’aimerais évoquer. Ce film italo-suisse surréaliste, réalisé par Luc Walpoth (titre français « Trajectoires invisibles ») a retenu toute mon attention.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200016421&o=88
En effet, « les gens » en général, c’est-à-dire nous, qui venons dans les salles de cinéma, achetons des livres ou écoutons des spectacles, attendons systématiquement que l’on vienne nous « Raconter l’histoire. La seule. Celle que les gens veulent entendre. »
Cette histoire, c’est un amoureux grisonnant, élégant mais assez commun pour permettre l’identification, qui vient nous la porter dans « Traiettorie invisibili ». En fait, l’homme voyage d’histoire en histoire. Généreux, il nous fait voyager avec lui sur son chemin onirique et charmant… emportés, on le suit en s’apercevant qu’il est lui-même l’histoire… ou alors qu’il n’a pas d’histoire ?
Sur ces trajectoires invisibles, on retrouve l’essence du voyage : des rencontres. La rencontre avec « des autres ». Et ces « autres » le portent (ou nous portent ?) vers d’autres histoires. Et aussi vers la nécessité de nous redéfinir nous-mêmes, nous composer d’une nouvelle façon, créant encore une nouvelle histoire.
Quand se profile la possibilité de finir l’histoire, alors surgit la difficulté de renoncer à l’histoire. En effet, écrire le mot « Fin », c’est clore l’histoire qui n’a donc plus à être racontée. Sortir du récit pour passer au « commun », au « sans histoire », c’est un pas difficile à franchir pour nous tous. Encore plus dans nos sociétés modernes où justement l’être se définit par ses histoires, et non plus par sa situation ou son statut (comme ça pouvait être le cas dans d’autres temps).
Comme dans le film, la plupart d’entre nous préfèreront prolonger l’histoire (ou les histoires) que choisir une fin. Nous nous créons même sans cesse de nouvelles histoires. Des voyages, physiques ou intellectuels, des rencontres, des changements… Dans la vie de tous les jours, quand nous sommes amenés à faire un choix, nous optons presque toujours pour des solutions ouvrant la voie à de nouveaux dénouements (et donc rebondissements), rendant impossible l’aboutissement de notre histoire.
Je pense pouvoir prendre le pari qu’en lisant cette dernière ligne, vous venez de penser à … une histoire. De vous-même ou celle qu’un proche vous a contée…
« Traiettorie invisibili » m’a aussi fait penser au travail de Paul Ricoeur et Marc Augé sur le récit de Soi, mais le film ne va pas assez loin dans son analyse pour atteindre les questionnements de ces auteurs sur la place du conteur dans le conte et la question du Soi, de la représentation de Soi et de l’interprétation de Soi.
Néanmoins, le film offre une approche particulièrement sensible des nœuds qui se forment entre récit, interprétation et transmission. De l’influence du conté au conteur et finalement à l’histoire elle-même. Des variations finalement obtenues. A l’image des contes anciens par exemple, qui ont pris des formes différentes dans certains pays et connaissent aujourd’hui plusieurs déroulements et plusieurs fins. Comme si l’histoire n’était jamais totalement écrite.
Site officiel :http://www.turbulencefilms.ch/turbulence_Films/TI.html
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En quatrième lieu, j’aimerais parler du film français « La fille de l’homme », réalisé par Manuel Schapira.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200015129&o=88
Ce film m’a beaucoup touché dans le « rapport à l’autre ». Comment nous portons rapidement un jugement sur une situation ou une personne. Comment nous percevons instantanément la présence d’autrui comme une gêne et comment nous allons naturellement nous enfermer dans des rapports de force au lieu d’aller dans l’écoute et la parole…
Comment le père refuse de répondre aux questions qui lui sont posées, considérant qu’il n’a de compte à rendre à personne, et étant peut-être effrayé par le groupe de jeunes qui le prend à parti. Comment les jeunes décident d’intervenir dans une situation dont ils ne savent rien mais en pensant agir pour le bien de la communauté.
Comment le comportement et le langage des jeunes vont transformer leur question en reproche.
Comment le silence renfermé de l’homme va transformer la situation en attaques contre sa personne.
Je me suis interrogée, à l’issue du film, sur la question de l’agression verbale et ses différentes strates, de l’insulte gratuite réellement agressive à l’imposition d’un échange oral qui ne l’est pas toujours…
Le questionnement s’étend alors à l’agressivité latente que chacun d’entre nous porte en lui, à la conquête de sa place assise dans le métro ou d’un bout de trottoir pour marcher par exemple.
J’ai aussi aimé le passage dans le bistro et la confrontation des deux groupes avec de nouveaux protagonistes, prenant parti plutôt pour la bande de jeunes que pour l’homme blanc avec le bébé. Et en même temps, oscillant entre les deux, voulant à tout pris prendre parti et être eux aussi le sauveur, « le défenseur de la veuve et de l’orphelin », mais ne sachant qui a tort ou raison, ne faisant qu’empirer les choses.
Le rapport aux policiers et le regard de la femme, sont deux nouvelles confrontations, aussi intéressantes et bien traitées.
« La fille de l’homme » ne raconte ni l’histoire de l’homme, ni l’histoire de sa fille, mais nous entraîne dans un univers urbain réaliste et concret, comme le quotidien. Un film qui interroge !
Site officiel : http://www.premium-films.com/film.php?id=1894
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Pour terminer, je veux dire quelques mots du documentaire suisse « Kwa Heri Mandima ». Réalisé par Robert-Jan Lacombe, « Kwa Heri Mandima » revient sur ses derniers jours au Zaïre, pays où il a grandi pendant les 10 premières années de sa vie.
Le contenu visuel est assez limité, quelques photos, une vidéo, mais le discours qui accompagne les images m’a profondément touchée.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200015902&o=88
En effet, nous parlons toujours d’une humanité universelle alors que dans chaque zone, nous prônons sans cesse le nationalisme et l’identité exclusive. « Kwa Heri Mandima » va dans le sens contraire et présente le cas d’un enfant européen qui a grandi dans la culture zaïroise et en a adopté les coutumes et les croyances. Le nombre de ces enfants « multiculturels » grandit chaque jour avec l’augmentation des migrations et des échanges internationaux. Tout comme les couples mixtes sont de plus en plus courants, ce qui augmente encore le nombre d’enfants multiculturels.
De nombreuses questions se posent tandis que la présentation de l’auteur s’étend aux enseignantes, aux camarades de classe… l’ouverture culturelle et l’absence de préjugés d’un enfant, le respect des cultures de chacun, le multilinguisme, l’apprentissage dans la langue natale, l’enracinement à un « foyer » qui n’est plus limité par une frontière gouvernementale… Tant de sujets méritaient un angle d’approche. Je trouve dommage que le film termine seulement sur l’annonce de la guerre qui va ravager le Zaïre juste après leur départ. Au lieu de nous rendre les personnes citées vivantes et attachantes, cela les écarte. On ne peut plus que se lamenter sur la disparition de ces êtres et en vouloir à ceux qui ont provoqué les affrontements. Ce qui à mon sens n’est pas plus constructif. J’aurais souhaité que le documentaire termine autrement, avec le témoignage de survivants par exemple, l’espoir de reconstruction, la présence d’un soutien interculturel ou au moins une faible lueur d’espoir de retrouver quelque chose de ce passé brisé.
Or, je suis sûre qu’il y a des restes, des gestes, des rites, des idées, des concepts sur le Monde et les autres, et j’espère qu’il y a aussi des rescapés, même si les trois meilleurs amis de l’auteur n’y ont pas survécu…
Malgré tout, le film apporte un regard intéressant sur ce passé entre deux cultures et les influences de cette enfance zaïroise dans le cœur d’un suisse. Bien sûr, le témoignage sur l’horreur de perdre ses camarades de classe reste intact, dans sa tristesse.
Mais grandir en plein air, dans la liberté et la bienveillance d’une communauté, porté par deux cultures différentes, semble une belle aventure de vie.
Site officiel : http://www.ecal.ch/news.php?id=1032&lang=en
Le film semble être en ligne sur le youtube du réalisateur : http://www.youtube.com/user/robijano#p/a/u/0/hef6Roa2z3U
Sur l’ensemble des deux sélections, j’ai vu presque soixante films, la plupart techniquement bons, au scénario construit, avec un message net ou un récit structuré. La moitié des courts-métrages que j’ai vus étaient vraiment tout public, de qualité, « sympas », doux, poignants ou drôles, et quelques « Higglety Pigglety Pop ! » ou « Thermes » sont venus bousculer tout cela.
Mais je regrette énormément l’absence de films expérimentaux dans les sélections française et internationale. Heureusement, le Labo, ainsi que les projections de certains films des palmarès précédents de cette compétition spéciale, dont Clermont-Ferrand fêtait l’anniversaire cette année, m’ont permis de combler ce manque.