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Clermont-Ferrand
Une sélection de films – Clermont Ferrand 2013
samedi 6 avril 2013, par
Cette année encore, Clermont-Ferrand a été LE lieu de la Fête du Court-Métrage. Le formidable et contagieux engagement culturel de l’association « Sauve qui peut le court-métrage » est plus fort et vivant que jamais. La Cérémonie de remise des prix a clôturé le plus grand festival de courts-métrages d’Europe et il est temps de préparer l’édition 2014. Mais pas avant de vous faire part de mes petites notes de visionnage !
En effet, durant le Festival, chacun a, dans son sac ou entre ses mains, le grand livret du festival, cahier imprimé en couleurs présentant tous les programmes de courts-métrages présentés.
Anonyme en pleine consultation du livret, ici au Festival 2012
C’est une véritable Bible du spectateur, un livret relatant tous les films de toutes les séances et sur lequel chacun y va de sa petite critique, de son commentaire griffonné entre deux génériques, du petit mot sur un acteur ou un musicien qu’on a aimé et dont on a « chopé » le nom au générique. Entre les lignes des synopsis, on ajoute une petite marque, témoin du ressenti de l’instant, de notre appréciation du film : une note sur une échelle de 0 à ...
Qui a mis la plus forte note à ce film ? Qui n’a pas aimé cet autre ? Qui a perçu le talent de cette comédienne ? Tant d’émotions avouées, tant d’opinions partagées, de bons conseils anonymes, qui s’échangent à l’oral dans les couloirs et dans les salles du festival….
J’ai la chance de pouvoir partager avec vous mes impressions, de publier ici ma petite « sélection » annuelle, témoin de mes choix subjectifs et personnels, liste de mes préférences courts-métrées au sein du Festival de Clermont-Ferrand 2013.
Quels seraient vos choix ? Que penserez-vous de mes « coups de cœur » ?
N° ∞ : Une sélection de films – Clermont Ferrand 2013
Evidemment si je n’avais pas déjà apprécié leur travail avant ma venue à Clermont-Ferrand, j’aurais pu mettre dans ce top 5 : « The devil » de Jean-Gabriel Périot, « Ce n’est pas un film de cow-boys » de Benjamin Parent, « Pieds Verts » d’Elsa Duhamel, « Little Terrorist » d’Ashvin Kumar et « Gerbille » d’Eric Geynes.
Mais mes articles précédents leur faisant déjà honneur, je les ai exclus de la liste des possibles !
Parmi tous les fantastiques films découverts à Clermont cette année, je souhaite positionner en numéro 1 :
– « Elefante » de Pablo Larcuen pour sa puissance évocatrice.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200028116&o=88
Ce film loufoque m’a sincèrement touchée dans sa construction réaliste bien que déjantée.
Portant à l’écran la question du schéma social, référence auquel chacun se conforme dans l’espoir de prolonger une joie de vivre ressentie à un moment donné.
En effet, notre sujet semble avoir une vie parfaite… En tous cas son existence semble garder la marque du bonheur qu’il a ressenti au début de la construction de son quotidien, dans l’amour qu’il a partagé avec sa compagne et la joie qu’il a connu en voyant naître ses deux enfants.
Etabli en famille « normale », il vit a priori paisiblement dans ce schéma, parfait cliché de réussite face aux pressions sociales, un cadre qui commence à se fissurer et perdre de sa consistance.
La « maladie » du personnage principal va transformer ce quotidien apparemment sain en une situation instable et gênante. Cette instabilité agit comme un révélateur quant à la fatuité de l’amour qui n’est plus partagé. Les sentiments qui ont sans doute existé sont éteints à présent, seule reste l’image du couple et la position de chacun dans ses rôles sociaux pour faire tenir l’équilibre. La mutation du « malade » brise l’équilibre et est vécue de manière pénible et douloureuse par notre héros, dont le dernier geste pleinement humain touche chacun de nous, car nous avons tous été confrontés à ce besoin de se mentir à soi-même et de s’oublier, une détresse que l’être humain fait bien souvent taire avec l’alcool ou le cannabis, comme le film le montre avec justesse et sincérité.
Puis le héros fait preuve d’un courage sans égal : il va tout briser pour se libérer et trouver enfin son bonheur. Une fois passée l’étape de transition, une fois digérée la cassure du mensonge quotidien, le héros sort des schémas sociaux et parvient à s’assumer tel qu’il est dans sa flagrante différence, atteignant enfin un vrai bonheur, simple et beau.
L’exagération visuelle de la « maladie » de l’« Elefante » permet de sortir le spectateur du trauma, du vécu, de faire un bond en dehors du réel et donc de rejoindre le film sur son aspect humoristique et étrange.
C’est extrêmement bien vu de sa part, au sens où le côté gag permet de se dédouaner du sujet, et donc d’admettre son ressenti émotionnel sans se sentir « attaqué » par la remise en question du quotidien et du schéma social. Des yeux trop concernés pourront néanmoins exprimer un rejet fort et particulièrement intéressant à la vision d’« Elefante ».
La fin de l’histoire nous permet pourtant de ressortir de salle le cœur léger, car notre héros retrouve sa place dans la société et l’un des siens lui prouvera être capable d’un amour allant au-delà de la façade sociale. Le film nous montre l’important qu’il y a à être reconnu et aimé pour ce qu’on est vraiment par ses proches et comment il est difficile de ne pas se laisser emporter par un « schéma » « facile » mais creux dans son rapport aux autres et à l’amour.
« Elefante » est un film puissamment salvateur qui défend la possibilité d’être heureux, COMME ON EST.
A voir absolument !
Site officiel : http://www.larcuen.com/projects.html
– Mon addiction au court-métrage japonais n’a pas eu raison de mon jugement sur le visionnage du cru clermontois 2013, et pourtant c’est un film japonais qui occupe la place numéro 2 de mon classement. Mais comment le nier, « Girl of Wall » (« La fille du mur ») de Yuji Harada est un chef d’œuvre !
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?m=213&c=3&id_film=200033221&o=88
Universel dans son rapport aux personnalités réservées, leurs spontanéités touchantes et leurs questionnements affectifs, « La fille du mur » est la fille d’ici, la fille d’ailleurs, la fille de partout, celle qui n’est ni très jolie, ni très intelligente, ni très riche, mais qui a son caractère et sa personnalité, et qui a sa propre histoire à nous raconter.
Le personnage de Yoda, particulièrement attachant, empruntée sans paraître idiote et désopilante sans être rendue hilarante, est interprété avec une justesse inégalable. Sensible sans être excessive, donnant à son rôle l’exacte dose de maladresse, l’actrice Ayumi Nigo fait preuve d’un talent hors pair pour donner corps à cette employée de bureau « lambda », à laquelle on s’identifie immédiatement. « La fille du mur » est un peu chacun de nous, au sens où elle n’est pas l’individu « alpha », être parfait, et parfaitement inatteignable.
Les personnages secondaires aussi sont brillants, et l’écriture des dialogues toute aussi remarquable. Evidemment, l’aide de la collègue de bureau de Yoda à la concrétisation de ses fantasmes est indispensable à l’histoire et si « l’entraide » sentimentale entre les deux filles amuse, elle est aussi un ciment indispensable à Yoda pour se construire, s’accepter et s’affirmer. Ce second rôle est très touchant et valorise Yoda alors qu’elle pourrait aisément la rejeter ou l’écraser de sa supériorité. Le film est non seulement drôle et entraînant mais il défend ardemment l’idée que chacun a droit à son histoire, à son expression, à son amour, et qu’il dépend de nous de laisser nos proches exercer ce droit au lieu de les étouffer.
« Girl of wall » est un appel à la fantaisie, au Droit d’être soi-même et au plaisir d’expérimenter ce concept que je nomme le « nul-art ». Ce fait de laisser la place à ses pulsions « artistiques » et d’assumer la « création » de son propre « art », même s’il ne rejoint pas l’idéal esthétique généralement attendu derrière le mot « art ».
Cette forme d’activité qui n’est pas de l’art au sens de la beauté et génère une valeur nulle (pas de vente, pas de valorisation de la création dans un lieu artistique), est pourtant de l’art au sens où il est une libre expression de soi-même (ses sens, ses émotions, ses réflexions) sans objectif autre que le partage de cette « création », objet issu de l’« appropriation » de l’instant, graphiquement (photos, dessins), textuellement (blogs, récits) ou scénographiquement (audios, vidéos).
La leçon que l’on peut tirer de « Girl of wall » est que : si ce que vous aimez c’est de prendre des photos de murs, alors faites-le !
Prenez ces photos et mettez-les en ligne !
Publiez donc vos propres critiques de films, créez votre blog, votre site pro…
Les espaces d’exposition virtuels sont de véritables ponts entre les êtres. L’ensemble des dirigeantes de Médiathèques me semble confirmer cette opinion en attribuant à « Girl of Wall » le Prix des Médiathèques, permettant ainsi à tous les abonnés des dites médiathèques de partager ce magnifique court-métrage… au sein de cet espace virtuel qu’est le « réseau des médiathèques » !
Page officielle : http://about.me/yujiman
– Mon numéro 3 est un documentaire du genre « documentaires animés » : « Reality 2.0 », réalisé par Victor Orozco Ramirez. C’est un film saisissant dénonçant la violence et le pouvoir des réseaux de drogues.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200026040&o=88
Mêlant les images de manière rapide et colorée, « Reality 2.0 » est peut-être un peu compliqué à suivre, car très riche en informations autant qu’en images, mais ce film marque le spectateur. Le souvenir est flou, mais la trace persiste.
Le débat de l’extension géographique du pouvoir des cartels surtout, demeure, troublant.
En effet, à l’image des réseaux de la drogue, « Reality 2.0 » explore plusieurs niveaux dans les réalités géographiques, sociales et politiques. La violence des détenteurs du pouvoir associé aux commerces de drogues est particulièrement bien dépeinte et les combats, entre autres avec les taureaux, rendent cette violence bien tangible et présente.
Le film fourmille et mériterait un second visionnage. En tous cas, il reste dans un coin de l’esprit comme un doute. Comme une alerte entendue au loin dont on voudrait saisir tout le sens et qui resterait inaudible… quel est ce danger ? Est-il imminent…
Site officiel : http://orozcovictor.com/film/reality-2-0/
– En numéro 4, j’opte pour « A society » de Jens Assur, un autre film de l’incroyable programme I 13 ! Si les programmes de courts-métrages sont définis par des programmateurs différents, celui ou celle qui a composé la « I13 » [1] est un vrai alter ego.
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200030565&o=88
Ce film brillant choque et surprend. On reconnaît bien le style talentueux du réalisateur qui a fait « Killing the chickens to scare the monkeys ».
« A society » a certes des défauts : quelques longueurs, une fin qui n’arrive pas vraiment à se finir ; mais le concept est tellement génial, nous portant loin dans la foi en l’avenir jusqu’à retomber dans la brutalité de la réalité...
Un film qui ouvre les yeux sur certaines évidences et qui rappelle aussi que l’adaptation est la règle première que tout être humain applique naturellement et spontanément dans des situations « délicates », « nouvelles », comme celle que vit actuellement l’ensemble d’humains que nous voyons évoluer dans le film. On comprend rapidement que cette situation devrait être temporaire, mais qu’elle se prolonge… La tension se présente tout en douceur et grimpe pour finalement nous prendre à la gorge, tandis que les repères culturels nous ancrent et que les nécessités du corps nous bouleversent. L’être humain, sa part animal et son âme, sont ici « disséqués » avec une sobriété et une objectivité presque médicales.
L’humanité dans toute sa splendeur.
Site officiel du réalisateur : http://www.studiojensassur.com/index.php/works#studiojensassur
– En dernière place, « Feux » réalisé par Thibaut Piotrowski, est le seul film français que je retiens dans mon Top 5 !
http://www.clermont-filmfest.com/index.php?&m=213&c=3&id_film=200033211&o=88
Si mon goût personnel en matière de court-métrage français est déjà à l’honneur avec mes précédents articles de la couverture du festival 2013, je dois cependant admettre que j’ai cette année une nette préférence pour les sélections internationales du Festival.
« Feux » fait clairement exception.
Le film a été remarqué par le Jury Professionnel qui lui a attribué la Mention "Gondry" [2]. Mais ne vous arrêtez pas à mon top 5, le court-métrage français a encore célébré des pépites de qualité, fiez-vous aux sélections des Jurys du Festival pour en découvrir plus !
Au premier regard, ce qui m’a touché dans « Feux », c’est cette absence d’adultes. Nous sommes abandonnés dans une cour de maison où trois enfants, visiblement une fratrie, vaquent chacun à leurs jeux et leurs occupations. L’aîné a aussi deux amis qui participent à la vie de la courette.
« Feux » nous perd parfois, nous fait décrocher, regarder notre voisin de fauteuil, notre montre… Pourtant, on apprend à connaître ces enfants, à les deviner.
Nos trois protagonistes ont des caractères forts, et chacun est attachant. Les deux frères se confrontent dans leurs passions et ils se rejoignent à travers elles. La petite sœur moins passionnée mais dynamique et pleine de vie se laisse docilement entraîner par la joie communicative des « folles expériences » de ses aînés. Tous trois partagent par contre une passion… celle pour un programme télévisé appelé « Aventures Scientifiques ».
Le clin d’œil aux émissions scientifiques des débuts de la télévision, alors que la télévision est elle-même le produit de l’avancée des sciences, est séduisant. Par son style télévisuel, « Aventures scientifiques » place aussi nos sujets dans cette époque des années 70 où l’on marche sur la Lune et où tout est possible. Comment ne pas penser à « Eurêka », « Planète Bleue »,
« L’avenir du futur », ou à la rigueur à
« Temps X » … ?
Les dimensions de dépassement et d’évasion propres à l’esprit scientifique sont une véritable trame dans la narration de « Feux », et le traitement particulier du regard adolescent face à ce besoin de dépassement est porté avec brio par l’attitude excessive et parfois désinvolte du frère aîné qui doit « faire ses preuves » pour reconstruire son égo.
C’est aussi un parcours initiatique, l’apprentissage de l’expérience, qui fait l’Expérience. Mais c’est le frère du milieu, avec sa perception du « Précieux » de la Vie, de chaque vie, qui sera le seul à atteindre la maturité.
A l’image du questionnement scientifique, de la théorie, qui doit cohabiter avec l’expérimentation, on voit dans « Feux » l’enthousiasme et l’enchantement, portés par le bel imaginaire du trio d’enfants, se confronter aux dangers de la tentative d’accomplissement. Aux risques du réel de l’expérience.
Sur cette frontière, l’image de la fascination scientifique rejoint celle de « l’exploit », de l’exploit sportif ou de la découverte « exceptionnelle ». Véritable course contre la montre, « Feux » nous emporte dans son élan et nous dévoile la folie qui accompagne la réalisation de ce surpassement.
Toute l’histoire de la Science, celle que l’on admet comme l’analyse du Réel, comme la Raison des choses, est en fait jalonnée de ces comportements exacerbés qui ne tiennent pas compte des conséquences, de ces attitudes exaltées et de ces actes pleinement « déraisonnés ».
A ce moment, à l’image de la fusée créée et sans cesse re-créée par l’aîné, le film décolle et éblouit autant qu’il explose et aveugle.
De trop nombreux sujets sont abordés et fouillés, l’amour, la déception, l’effort, l’échec, la jalousie, la perte, l’espoir, la foi, la culpabilité, l’envie de se « déployer »… alors que l’écran reste imperturbablement noir et blanc, le film nous entraîne dans un kaléidoscope d’émotions aussi essoufflant que les montagnes russes.
Reste cette imprégnation colorée, et son impression d’étrange et de merveilleux.
L’enfance dépeinte dans « Feux », qui n’est pas « encadrée » par la conscience et la modération de l’adulte, poussera jusqu’à son apogée et ira au-delà du possible, laissant le spectateur impuissant dans son fauteuil, avec sa frustration de ne pouvoir interrompre le fil de l’histoire, comme cette histoire court son chemin d’elle-même, à l’image de l’Histoire du Progrès, de la Techno-Logie...
« Atterré », on ne peut stopper le déroulement du film.
Finalement, « Feux » se termine sur une note absurde totalement inattendue et pourtant en parfaite concordance avec l’incohérence de l’esprit enfantin qui sommeille en chacun de nous.
Une véritable expérience !
Site officiel : http://vimeo.com/thibautpiotrowski
Cette édition 2013 a encore une fois été à la hauteur. Tant de belles œuvres ont, cette année encore, été présentées sur les écrans clermontois. C’est toujours une joie de pouvoir s’immerger dans ces mondes d’images. Vivement toutes les prochaines années ! [3]
Ce Festival International du Court-Métrage de Clermont-Ferrand, il est déjà bien haut, mais il n’a pas fini de monter !
@ Ville de Clermont-Ferrand le 7 février 2013
Ainsi se termine le Numéro 8 et avant-dernier témoignage de mon parcours clermontois pour l’édition 2013. Un dernier article sur le Festival du court-métrage de Clermont-Ferrand 2013 sera publié, pointant sur la présence Britannique au sein du festival, à travers un Questions-Réponses avec l’un des intervenants présents pour ce Festival. Pour lire le tout dernier article sur le Festival de Clermont-Ferrand 2013 : http://mydylarama.org.uk/spip.php?article153
Clotilde Couturier
[1] programmation Internationale numéro 13 parmi la sélection retenue par le Festival de Clermont-Ferrand
[2] réalisateur entre autres de « Eternal Sunshine of the Spotless Mind »
[3] prochaine édition : du au 1er au 9 février 2014 !